Lech, le saltimbanque
Bernard Lech jouait au football comme on joue du piano, en glissant sur la vie. Frère cadet de l’attaquant international Georges Lech, le meneur de jeu des toutes premières années de l’AS Nancy-Lorraine, aurait pu, lui aussi, briguer la sélection nationale. Il avait la classe ; sans doute lui a-t-il manqué un peu de gabarit et de « sériosité », comme aurait dit Stefan Kovacs.
Lorsque Bernard Lech a été annoncé à l’ASNL, au début de la saison 1968-69, son nom a suscité un réel enthousiasme, mêlé d’admiration, parmi les supporteurs du club. Il était prestigieux. Claude Cuny qui n’avait pourtant qu’un empressement distant à l’égard des recrutements tapageurs, venait de réaliser une opération spectaculaire et savoureuse. Le RC Lens, où évoluait la future recrue nancéienne, était descendu en Division 2 et les mines avaient d’autres priorités que la pérennité d’un soutien jusque-là témoigné aux Sang et Or.
« Au même moment, se souvient Bernard Lech, mon frère Georges a signé à Sochaux, Richard Krawczyk est parti à Metz, tandis que Joël Prou m’a accompagné à Nancy. Je suis resté trois ans en Lorraine, et aujourd’hui encore je garde un souvenir presque attendri de cette époque où le football était davantage tourné vers le jeu que vers l’argent. De mon temps, il n’y avait pas tous ces agents de joueurs. Si j’étais pro aujourd’hui, j’aurais multiplié mes gains par dix et j’aurais une voiture comme on en voit devant tous les vestiaires ! A quoi bon ! »
Dribbleur au style chaloupé, Lech orientait l’offensive où il aimait s’immiscer puisqu’il inscrivit quinze buts lors de son premier championnat sous le maillot frappé du chardon, établissant son palmarès personnel à dix réalisations, l’année suivante. Le joueur à la chevelure abondante et claire était un disciple du jeu léché. Sans doute son patronyme le rapprochait-il de cette disposition naturelle. « Je ne défendais guère, admet-il. C’est ce qui m’a vraisemblablement privé d’une sélection en équipe de France où Georges a brillé. A l’époque, Georges Boulogne était le sélectionneur national et si l’on ne mesurait pas 1,80 m, on n’avait aucune chance d’être retenu. »
Grief a été fait au saltimbanque venu du Nord d’aimer faire la fête. Aujourd’hui encore, Bernard plaide non coupable. « On ne sortait pas tous les soirs, corrige-t-il. La critique était exagérée. Je ne m’arrête pas au jugement des gens, mais je note tout de même que Sydney Govou reçoit le même type de reproches en 2010. » Bernard Lech a participé à la montée de Nancy en Division 1 au bout de la troisième année d’existence du club. Toute sa carrière professionnelle n’aura été que voyages successifs entre l’élite et la D2 ; mais à 63 ans, il considère que le bonheur aura été au rendez-vous de sa vie sportive. « Le football est fait pour procurer du plaisir aux gens, explique Bernard Lech. C’est un métier qui n’est pas à la portée de tout le monde. Je le compare à la chanson et je dis que Johnny Hallyday a rendu ses fans heureux. »
A Nancy, Bernard Lech a rencontré Martine et si leurs pas se sont dispersés au cours des années, le technicien retient son séjour en Meurthe-et-Moselle parmi les moments marquants de sa jeunesse. « C’est à Nancy qu’est né Nicolas », rappelle Nanard qui a vu avec délice, son fils devenir footballeur professionnel sous les couleurs de Reims.
« Je suis d’accord avec Michel Platini »
Jean Palka lui téléphone régulièrement. L’ancien arrière droit de l’ASNL, avec qui il partageait la passion du bowling, vit toujours à Nancy et il a gardé un contact amical avec celui qui témoignait d’une proximité quasi fraternelle à l’égard de Robert Blanc, l’avant-centre percutant aujourd’hui disparu. « C’est vrai, je retiens beaucoup de bonnes choses de mon passage à Nancy, appuie Bernard Lech. Et pourtant, je ne suis pas quelqu’un qui mémorise les événements. Je revois cependant la haute basilique Saint-Epvre où je me suis marié. »
Invité par le président Jacques Rousselot, Lech a participé aux cérémonies du quarantième anniversaire de l’AS Nancy-Lorraine en 2007. « Je m’intéresse toujours, en supporteur, aux résultats de l’ASNL, comme à ceux de Lens d’ailleurs, affirme l’ex-meneur de jeu établi à Reims où il vit sa retraite, après avoir tenu un restaurant dans la cité champenoise. Pourtant, la direction prise par le football professionnel de nos jours me rend nostalgique. Je suis d’accord avec Michel Platini qui prône la restauration de l’esprit du jeu. Platini fait partie des grands joueurs qui ont écrit l’Histoire, comme d’autres vedettes dont les noms sont inscrits à jamais dans nos mémoires : Pele, Di Stefano, Beckenbauer, Cruijff, Yachine. »
Bernard Lech est de Ch’Nord. Il y a quarante ans, il est passé chez nous, en Lorraine, pour y goûter la joie de vivre en y distillant son art, avec désinvolture. Salut, l’ami… « Dany Boon a raison de dire que celui qui vient dans le Nord pleure deux fois, lorsqu’il arrive et quand il part, témoigne Lech. Mais la Lorraine, c’est solide aussi. »
Christian PORTELANCE Journaliste, auteur de AS Nancy-Lorraine, des épopées et des hommes (éditions Alan Sutton, collection Mémoire du football)