Piantoni, le génie brisé

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Articles · 26/05/2018 à 17:43
26/05/2018 • 17:43

Roger Piantoni, originaire de l'ES Piennes, fut l'un des footballeurs les plus doués de la planète durant les années d'après-guerre. Christian Portelance s'en souvient avec beaucoup d'émotion. 

Ces dernières années, Roger Piantoni, soulageait une hanche récalcitrante en se déplaçant à l'aide d'une canne. Vision difficilement supportable pour qui l'a vu en 1958 dribbler, percuter ses boulets du pied gauche et doser ses passes au millimètre. Les anciens ont adoré Piantoni. Le joueur était génial, pas très grand, mais doué comme pas permis. Il savait tout faire et André Isch, journaliste honoraire qui l'a bien connu, en brosse un portrait éloquent dans son ouvrage consacré au football lorrain (1), évoquant le trio tricolore historique Kopa-Piantoni-Fontaine : « Kopa, apprécie André Isch, était un remarquable meneur de jeu, Fontaine un formidable buteur. Et Piantoni possédait les qualités de ces deux-là ».

Formé à l'ES Piennes par le technicien Jean Blascheck fin sculpteur de talents, Roger Piantoni, dit Bout de chou, est passé de la mine à laquelle il se destinait, à la lumière du jeu de football où il a d'emblée franchi les feux de la rampe. Ses épopées, son apogée sont circonscrites aux années 1950-1960 avec un coup d'arrêt brutal en forme de martyre, le 11 octobre 1959 à Sofia, jour où un défenseur bulgare lui a fracassé le genou dans un tacle épouvantable! « J'ai encore joué quelque temps, mais tout s'est vraiment arrêté pour moi, ce jour-là! », regrettait encore Roger Piantoni, plus d'un demi-siècle plus tard.

Piantoni, ce sont plus de 200 buts officiels, en un peu plus de douze ans de carrière seulement, deux titres de meilleur buteur avec 28 réalisations; ce sont aussi 37 sélections en équipe de France dont l'épopée de 1958 où les Bleus d'Albert Batteux ont terminé à la troisième place derrière le Brésil et la Suède, contre toute attente. Et c'est également une finale de Coupe d'Europe des clubs champions avec le Stade de Reims contre le Real Madrid de Gento et Di Stefano. C'est-à-dire le Real de légende des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le Real au maillot blanc comme neige dont l'éclat subtil jaillissait des écrans de TV en noir et blanc !

 

Convoité par le Milan AC et le Real Madrid

Si aujourd'hui, la mondialisation du football a fait tomber toutes les frontières, permettant à n'importe qui d'aller jouer n'importe où, naguère seules les très grandes signatures internationales étaient couchées sur les précieuses listes des recruteurs. Raymond Kopa a signé au Real, Lucien Muller à Barcelone. C'est à peu près tout.
Le FC Nancy 1952 avec Roger Piantoni
Roger Piantoni a été contacté par les stars mondiales: Juventus de Turin, Milan AC, Inter Milan, River Plate (Argentine), mais c'est le Real Madrid qui semblait avoir les yeux de Chimène mais aussi les espèces trébuchantes pour le magnifique n°10 nancéien devenu champenois. Le refus catégorique du président Germain de Reims mit une fin définitive aux tractations avec le plus grand club de l'histoire du football. « Vous, je vous garde, Roger, vous ne partirez pas au Real », trancha le puissant patron du Stade de Reims.

À Nancy, où Roger Piantoni a rencontré Hervé Collot son ami de toujours, le gaucher de l'ES Piennes a d'abord pris la mesure du talent de deux artistes comme Aballay et Vega avant d'apporter son concours à l'explosion d'éléments comme Hédiart et Deladerrière. Ne retrouva-t-on pas ces trois-là sous le même maillot de la sélection nationale, le 25 mars 1956 contre l'Eire !
Les amis Hervé Collot, Aldo Platini et Roger Piantoni
À jamais, Roger Piantoni qui a donné de son vivant, son nom à une tribune du stade Marcel-Picot (où il ne ratait aucun match de l'ASNL au côté des anciens du FCN Hervé Collot et Michel Chevalier), demeurera l'une des légendes du football nancéien, à l'image de Michel Platini autre personnalité d'exception du sport numéro un qui confère au FC Nancy et à l'AS Nancy-Lorraine, une place à part au firmament du football pour lequel un autre géant européen a tant œuvré lui aussi : le Vosgien Jacques Georges.

L'attentat du 11 octobre 1959 est une honte pour la beauté humaine du sport, et les historiens de ce jeu versent une larme qui ne sèchera jamais sur l'articulation broyée de Roger Piantoni. Le seul à avoir pardonné (sans oublier) est le joueur-martyr. Ce qui le rend plus noble et plus simple encore.

 

Christian PORTELANCE Journaliste honoraire, auteur de l'ouvrage AS Nancy-Lorraine, Des épopées et des hommes paru en 2007 aux éditions Alan Sutton (collection Mémoire du Football).

(1) La Gloire du Football Lorrain, Éditeur Gérard Klopp
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