Louis, made in Haïti

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Articles · 15/06/2014 à 16:18
15/06/2014 • 16:18

Des matchs de foot sur la pelouse de l’AS Mirebalais au tremblement de terre de 2010, Jeff Louis raconte son Haïti. Un voyage aussi passionnant qu’instructif à 7 646 km de Nancy.

« Haïti n’est pas le pays le plus pauvre de la planète. Lors de déplacements avec la sélection nationale, j’ai vu pire ! » Même si les chiffres confirment une grande misère, 75 % des Haïtiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 50% sont dans la pauvreté la plus totale, Jeff Louis ne supporte pas que l’on imagine sa terre natale comme sous-développée. Son histoire, remplie de vertes pelouses et de matchs de foot devant la télévision familiale, montre un autre Haïti. « J’ai eu la chance de grandir à Mirebalais chez ma grand-mère, avec ma tante et mes oncles, explique Jeff. Mes parents m’y ont amené à l’âge de six mois. C’est une ville de 90 000 habitants beaucoup plus tranquille que Port-au-Prince. Dans la capitale, tous les enfants finissent avec une arme dans la main. Moi, j’ai fait quelques bêtises comme tous les gamins mais jamais rien de grave. »

La maison est idéalement située à proximité du stade de l’équipe locale, l’AS Mirebalais, dernier vainqueur du championnat de première division haïtienne. Celui que l’on surnomme alors Asamoah, en référence au puissant attaquant nigérian, y accède en moins de 5 minutes. Il y fait rouler le beau ballon en plastique dur, orné des drapeaux des plus grandes nations du football, que le copain de sa tante lui a offert. « C’était un bon terrain en herbe. Il y en d’ailleurs beaucoup dans le pays car le football est le sport n°1. Tous les jeunes tapent dans le ballon, au contraire des Dominicains, sur l’autre partie de l’île, qui ne s’intéressent qu’au base-ball. J’ai aussi joué un peu basket mais il n’y a pas d’avenir pour ce sport à Haïti. À un moment, j’ai choisi de me concentrer à 100% pour le foot.»

 

Ronaldinho et Batistuta

On est ici bien loin du cliché du footballeur qui développe une technique Ronaldinhesque en jouant avec une balle de chiffon sur des terrains vagues. La mention de l’artiste brésilien n’est d’ailleurs pas anodine. Jeff Louis en est fan. « Avec le maillot de Barcelone, Ronaldinho était imprévisible. J’aimais son style, ses dribbles. J’essayais de reproduire les mêmes gestes, mais c’était techniquement du très haut niveau. » Sur la télévision de sa grand-mère, le petit Jeff regarde aussi le championnat brésilien, argentin et surtout italien pour la Fiorentina de Gabriel Bastistuta. « Il n’y avait pas de joueurs haïtiens qui nous faisaient rêver. On avait entendu parler de Wagneau Éloi qui jouait en France (NDLR : Lens, Monaco, mais aussi Nancy de 1995 à 1997), mais on ne le connaissait pas vu qu’il n’était jamais venu jouer avec la sélection. »

Sur le terrain, sa frappe de balle et ses accélérations ne passent pas longtemps inaperçues. Jeff Louis a une dizaine d’années quand Jacques Succès, que tous surnomment coach Jacky, le prend sous son aile. « Il n’avait pas beaucoup d’argent, mais louait un appartement pour héberger quelques jeunes footballeurs. Je suis resté deux ans. Nous étions sept à dormir chez lui. Il s’occupait bien de nous et nous aidait à trouver un bon club. Comme pour beaucoup de joueurs haïtiens, c’est lui qui m’a mis sur le chemin d’une carrière professionnelle. Je lui dois beaucoup ».

Coach Jacky insiste aussi pour que les clubs paient les frais de scolarité de leurs jeunes apprentis. Le petit Jeff en profite. « Je voulais bien maitriser le français. Chez nous, on apprend à le lire et à l’écrire, mais pas à le parler. La langue de la rue, c’est le créole. » Dans un pays où le taux de scolarisation avoisine les 50% selon l’UNICEF, Jeff Louis est conscient d’avoir eu beaucoup de chance. C’est pourquoi il veut à son tour aider ses compatriotes. « Aujourd’hui, j’envoie de l’argent à ma famille et mes amis. Dans les années à venir, j’espère pouvoir en soutenir d’autres. Le jour où je signerais dans un très grand club, je construirai un hôtel et une école. Cela donnera du travail à mes amis qui ne trouvent pas d’emploi après leurs études. »

 

Le traumatisme de 2010

Déjà en difficulté d’un point de vue économique depuis la dictature des Duvalier, jusqu’au milieu des années 1980, Haïti doit aujourd’hui se reconstruire après le traumatisme du séisme du 12 janvier 2010, le plus grand jamais enregistré dans ce pays. « J’étais sur un terrain, se souvient Jeff. J’ai entendu un bruit et vu la terre qui commençait à bouger. Je n’avais jamais connu cela. On s’est allongé par terre. Comme il n’y avait pas beaucoup de dégâts autour de nous, on n’a pas mesuré tout de suite l’ampleur des dégâts. C’est dans la soirée en écoutant la radio que l’on en a pris conscience. Deux semaines plus tard, quand je suis allé à Port-au-Prince, il y avait toujours plein de cadavres dans la rue. Ça m’a marqué à jamais. » Les autorités recensent plus de 200 000 morts et des millions de sans-abris.

De cet évènement tragique, Jeff Louis retient aussi la grande solidarité de son peuple. De quoi le rendre un peu plus fier encore de porter le maillot des Grenadiers, surnom donné depuis 2008 aux internationaux haïtiens. « C’est très important pour moi, même si c’est compliqué dans tous les domaines. La fédération n’a pas assez d’argent pour payer les équipes adverses. On ne joue pas souvent et la plupart du temps à l’extérieur. C’est triste de ne pas évoluer devant nos compatriotes, mais on doit l’accepter. » D’autant plus regrettable que le stade Sylvio-Cator, partiellement détruit lors du tremblement de terre, a été rénové. D’une capacité de 30 000 places et doté d’une pelouse synthétique toute neuve, il n’a accueilli que quelques rencontres internationales depuis l’été 2011 et la fin des travaux. « C’est dommage car j’aimerai rentrer plus souvent chez moi, pour voir mon neveu Guy-Marie. Nous avons grandi ensemble. Il a aujourd’hui 9 ans et me manque beaucoup. »

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