Quand Pablo parle de Correa

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Articles · 13/11/2016 à 08:21
13/11/2016 • 08:21

Auteur de la biographie de Pablo Correa parue aux éditions du Quotidien, le journaliste de l’Est Républicain Romain Jacquot commente cinq extraits.

Son enfance à Montevideo, en pleine dictature militaire

« C’est en entrant au lycée que j’ai commencé à me rendre compte dans quel monde on vivait à ce moment-là en Uruguay. J’arrivais à un âge, l’adolescence, où l’on veut s’exprimer, exister, avec tout l’anticonformisme qui va avec. Au lycée, la porte d’entrée ne comportait qu’une toute petite ouverture pour que le passage des élèves s’effectue un par un. C’était interdit d’avoir les cheveux qui touchaient le col de la chemise. Le proviseur vérifiait ça à l’entrée, il fallait avoir les cheveux très courts, comme si on était des militaires. À l’époque, je ne voyais pas les dangers du régime, je ne voyais que les contraintes, tout ce qui me cassait les bonbons à longueur de journées. Mes parents quant à eux, même s’ils ne le disaient jamais, vivaient avec une crainte permanente et pesante ».

 

Romain Jacquot : « Même s’il n’a pas vécu la dictature militaire de plein fouet comme ses parents, c’est quelque chose qui l’a conditionné pour la suite. Je pense évidemment à une certaine méfiance ou prudence qu’il adopte toujours avant d’accorder sa confiance. »

 

Son adaptation en France

« La moindre chose était très compliquée au début, avec cette barrière de la langue. Des anecdotes à ce sujet, j’en ai des dizaines, mais, celle qui me vient de suite à l’esprit, c’est mon grand moment de solitude lorsque je me suis retrouvé à la caisse d’un supermarché à Nancy, avec ma carte bleue qui ne fonctionnait pas. La caissière me parlait, je ne comprenais rien et je ne pouvais pas lui répondre… Voyant la file d’attente grossir, je me suis mis à courir vers le distributeur sans rien dire et je suis revenu payer en liquide ! Sans maîtriser la langue, il faut essayer de tout anticiper pour ne pas rencontrer de galères. »

Romain Jacquot : « Cette anecdote permet de se rendre compte du choc que cela a été pour lui de changer de vie totalement à 28 ans. Pour se sentir autant français qu’uruguayen aujourd’hui, il a dû franchir de nombreux obstacles dans sa vie au quotidien. »

Le jour où il aurait pu quitter Nancy

« Tout s’est joué lors de mon premier retour en Uruguay pour les vacances, à l’issue de la saison 1995-1996. En revenant à Montevideo, j’avais mangé avec Carlos Curbelo, j’avais alors appris que l’ASNL lui avait laissé la porte ouverte pour me trouver un autre club si je le désirais. Carlos avait même une possibilité intéressante pour moi au Chili, il avait commencé à m’en parler, mais je l’avais tout de suite coupé dans sa phrase : « Je reste à l’ASNL. À tous ceux qui doutent de moi, je vais leur montrer qu’ils se trompent… ». J’en étais convaincu, même si ça s’annonçait encore plus dur de trouver du temps de jeu puisque le club accédait à la Division 1. Pour ma seconde année de joueur à Nancy, je suis donc revenu à l’entraînement avec un état d’esprit revanchard. Prêt à tout faire pour m’imposer ».

Romain Jacquot : « Ce passage montre son tempérament et sa force de caractère. On se rend compte qu’il y a plusieurs moments dans sa vie où ça peut basculer du mauvais côté. Finalement, grâce à son mental, c’est quand même lui qui retourne la situation en sa faveur. On retrouve cette force de caractère dans sa carrière d’entraîneur. »

 

La Porsche d’Emmanuel Duchemin

« Quand Manu Duchemin est venu toquer, j’ai tout de suite pensé qu’il s’agissait de quelque chose d’important. Le genre de soucis dépassant le cadre sportif. Dans ce cas-là, je me prépare toujours un peu, parce que ce n’est jamais évident à gérer. Je me suis donc mis à écouter Manu Duchemin, avec une certaine crainte. Mais là, il a commencé à me parler de sa passion pour les voitures. Je ne comprenais pas trop où il voulait en venir jusqu’à ce qu’il m’annonce son projet d’acheter une Porsche, en m’expliquant qu’il économisait depuis un moment pour ça. En réalité, il avait fait l’effort de venir me demander quasiment l’autorisation de s’offrir cette Porsche en raison des causeries que je tenais souvent aux joueurs à l’époque. Je leur répétais qu’un bon joueur se jugeait sur le rectangle vert et non pas sur la marque de sa voiture. Mon discours était le suivant : « Un bolide puissant conduit au même endroit qu’une toute petite voiture. Mais les efforts sur le terrain, eux, peuvent mener une carrière beaucoup plus loin que prévu ». C’est là que j’ai mesuré à quel point ce groupe avait une capacité d’écoute phénoménale, avec beaucoup d’humilité et de respect ».

Romain Jacquot : « Cet extrait montre l’importance qu’il accorde aux relations humaines. C’est quelqu’un qui veille sur ses joueurs et pas qu’un simple entraîneur dans son management. C’est ce qui lui permet surement de tirer le meilleur de ses joueurs. »

Pablo Correa

Le décès de sa sœur en février 2015 et de son papa en janvier 2016

« Mon bureau de la Forêt de Haye connaît beaucoup de choses sur moi, il m’a vu pleurer tout seul. J’éprouve un manque, un grand manque, mais ces deux décès très rapprochés n’ont pas changé la manière de faire mon métier. Le jour du match, c’est même fou comme la compétition parvient à prendre encore 100% de moi. J’ai remarqué une chose, en revanche : lorsqu’il y a un but important ou une autre émotion forte pendant une rencontre, mon esprit revient systématiquement vers ma sœur et vers mon père. C’est humain, je pense. Le côté émotionnel rend tout le monde plus vulnérable, c’est beaucoup plus dur à ce moment-là de contrôler ce que vous ressentez au plus profond de vous ».

Romain Jacquot : « C’est évidemment une période très triste pour lui. Je voulais quand même la faire ressortir pour montrer l’importance qu’il accorde à sa famille. »

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