Le transfert-gag de Jean-Paul Krafft
Jean-Paul Krafft a été le premier gardien de but de l’ASNL. Après quatre années passées sous le maillot frappé du chardon, il a réussi un coup unique en son genre. En juillet 1971, il a signé le même jour à Toul puis à… l’OM ! Se croyant perdu pour le haut niveau à la suite d’une blessure, il finit par prendre la place de Georges Carnus, le portier de l’équipe de France.
Comment dire ? Jean-Paul Krafft est un Alsacien de Sedan. Rien ne le prédestinait donc à revêtir le maillot de l’ASNL, si ce n’est son amour du grand Est et son envie, après un prêt de deux saisons (appartenant au club ardennais) au Racing Paris et à Cherbourg, de se rapprocher du berceau familial. Lorsque Claude Cuny lui a fait signe, il n’hésita pas à former, en compagnie de Charles Gasparini et Jacques Marie, le trio des pionniers sedanais venant en éclaireurs lancer la grande aventure du réveil du professionnalisme à Nancy.
« Et je garde, prévient Jean-Paul Krafft, un souvenir ineffaçable de mon passage en Meurthe-et-Moselle. Je n’aurais d’ailleurs pas voulu manquer pour un empire, la cérémonie qui a marqué le retour de l’ASNL en D1, il y a cinq ans, pas plus que la fête organisée pour le quarantième anniversaire du club. Je vis aujourd’hui près de Mulhouse, mais je ne perds pas de vue l’AS Nancy-Lorraine. » L’époque était épique. Si l’on racontait aujourd’hui que la philosophie de l’ASNL répartissait le quotidien des footballeurs entre l’entraînement et une activité professionnelle annexe, on surprendrait assurément. Mais ce ne serait que pure vérité. Jean-Paul Krafft était employé dans un magasin de sport proche de la Place Stanislas. C’est d’ailleurs là qu’il plongea ses premières racines dans sa future reconversion.
Dès 1967, après que le dossier présenté par Claude Cuny eut été (non sans mal) accepté par le Groupement des clubs autorisés, Krafft essuya les plâtres de la D2 avec les Chlosta, Woltrager, Lanini, Tognotti, Braun, Palka, Miletic, Gasparini, Redin, puis les Lech, Prou, Blanc et autre Dublin, celui-là même qui lui occasionna une grave blessure à la face, un soir d’épouvante à Nantes ! « Je m’étais fait très, très mal au stade Marcel-Saupin où je m’étais fracturé la mâchoire. » Jean-Paul Krafft a longtemps conservé les séquelles de son accident nantais, puisqu’il a dû dernièrement encore être opéré des vertèbres cervicales.
« Carnus, un grand monsieur »
La montée en D1, au bout de trois saisons, restera l’un des moments délicieux de la carrière de Krafft, laquelle n’a pas été jalonnée d’exploits retentissants. Sedan a certes disputé une finale de Coupe de France en 1965 contre Rennes, mais Jean-Paul était blessé et n’avait été de la partie. « Pour accéder à l’élite, retient l’ancien goal de l’ASNL, nous avions dû disputer les barrages et j’avais été très bon à Bastia où l’on avait fait 0-0. Ce match reste gravé dans ma mémoire. »
A 29 ans, Jean-Paul Krafft, très affecté physiquement, envisagea prématurément l’abandon du métier et tendit une oreille bienveillante, avec l’accord du président Cuny, vers une proposition de reclassement émanant de Toul. « Les dirigeants, dont le club évoluait en championnat régional, m’avaient présenté un challenge intéressant : ils m’ouvraient un magasin de sport et me demandaient d’être leur entraîneur-joueur. J’avais donné mon accord et signé cet engagement lorsque le téléphone sonna chez moi, le même jour, à l’heure du déjeuner. » Au bout du fil, Mario Zatelli, de son accent chantant, distilla vers la maison des Krafft, un rayon de soleil marseillais qui allait brûler d’un enthousiasme spontané et fou le cœur de Jean-Paul. L’entraîneur, qui avait bien connu Nancy pour avoir autrefois croisé les pas du FCN, réclamait Krafft à l’OM en lui promettant : « Tu seras le remplaçant de Georges Carnus. C’est toi que je veux et personne d’autre ! »
Il n’a pas fallu longtemps à J-PK pour rappeler Toul, lui raconter l’incroyable histoire de Marseille et faire ses valises pour la Canebière en vue d’y rejoindre les grandissimes vedettes du football français, Skoblar, Bosquier, Trésor, Gress, Bonnel, Novi ! Vous y croyez, vous, à cette fadaise aussi grosse que la sardine qui bouchait le Vieux-Port ? Eh bien, c’est une histoire vraie, trois fois vraie. Et qui se termina si bien pour le blessé de Marcel-Saupin qu’il acheva le championnat 1973 en qualité de titulaire au Stade-Vélodrome où Carnus avait vu son étoile pâlir quelque peu. « Grand Seigneur, Georges m’a encouragé et soutenu lorsque je lui ai ravi sa place, raconte Jean-Paul Krafft. C’était un grand monsieur et un type d’une extrême gentillesse. » Le football est parfois un conte de fée. En Alsace où il vit une retraite douillette en famille, Jean-Paul Krafft, qui totalise la bagatelle de quatorze entorses, le sait bien.
Christian PORTELANCE Journaliste, auteur de AS Nancy-Lorraine, des épopées et des hommes (éditions Alan Sutton, collection Mémoire du Football)