Le 1000ème match en L1

Un beau ciel d'été corse jouait avec l'écume des vagues dans la baie d'Ajaccio. Après trois saisons d'attente, l'ASNL faisait, ce 12 août 1970, des débuts historiques en Division 1. Ainsi la ligne tracée par Claude Cuny, le président-fondateur du club, avait-elle abouti à la réussite programmée : apprentissage du professionnalisme pendant trois exercices en Division 2 et accession parmi l'élite. Sombre nuit au large de la Méditerranée où les joueurs nancéiens reçurent une correction qui anéantit leur bonheur de croiser le fer avec les grands: 5-0, trois buts d'Etienne Sansonetti et deux de Réginald Dortomb ! Ajaccio aux anges et Nancy déjà sens dessus dessous. Joseph Magiera, l'excellent gardien revenu de Valenciennes pour succéder à Jean-Paul Krafft dans le but lorrain, n'a toujours pas oublié ce soir de détresse.

Au cours de cette même saison inaugurale en D1, Nancy sombra à nouveau et sa douleur, cette fois, fut énorme, puisque l'ASNL perdit trois hommes à Nantes : Jean-Pierre Borgoni, René Woltrager et Jean-Paul Krafft, titularisé ce soir-là. Fractures de la hanche, du maxillaire et blessure à la hanche; le 7-0 subi sur fond de désastre humain restera comme l'un des plus lourds épisodes de l'histoire du club.

Marcel-Picot a eu le privilège de voir Michel Platini inscrire son premier but en Division 1. Avec le recul, ce privilège est plus beau qu'un diamant. Michel, le plus merveilleux joueur du football français, a battu tous les gardiens de la planète et laissé sa griffe de majesté sur les pelouses des deux hémisphères. Mais c'est bien ici, chez nous, que tout a commencé pour le prodige de Joeuf lancé par Antoine Redin, le 11 mai 1973 contre Lyon. But de Platini, encore junior, face à Yves Chauveau, le portier international !

Les coups francs de Platini

Jacky Rose, le gardien lavallois, pensait bien être à l'abri des foudres que l'artiste de l'ASNL fit tomber sans vergogne, saison après saison, sur la tête et... l'estomac de tous les spécialistes de France et de Navarre. Il avait observé le maître dans l'exercice de ses coups de pied arrêtés et s'était cru autorisé à annoncer avant le déplacement de Nancy en Mayenne, que « Platini ne le surprendrait pas malgré la précision de ses coups francs ». A l'arrivée: 3-0 et trois buts de Platini.

Vous me direz qu'à Francis Le Basser, tout ne s'est pas toujours passé sans encombre pour l'ASNL et Pierre Neubert y a signé un exploit rare, au cours des années 75, puisque le stoppeur nancéien marqua deux fois contre sans camp et plaça une tête sur la barre transversale lorraine. L'avant-centre allemand de Laval qui n'avait nul besoin qu'on fît le travail à sa place, tant il était talentueux et efficace, glissa à l'oreille de Pierrot: « Tu sais que c'est dans l'autre but que tu dois tirer? »

30 384 spectateurs à Picot

Le 19 décembre 1976 marque une date unique. C'est la seule fois où Marcel-Picot a accueilli 30 384 spectateurs, pour la venue des Verts. Un grand rendez-vous avec l'émotion dont on ne remerciera jamais assez le football de nous la verser avec tant de générosité dans le coeur! Aujourd'hui, jamais ce match n'aurait eu lieu. Aucun arbitre n'aurait donné le coup d'envoi. Le public était si nombreux qu'il était agglutiné aux poteaux de corner. Sans la sportivité de Jean-Michel Larqué, le capitaine international de Saint-Étienne, qui accepta d'engager son équipe dans ce dimanche de football absolument déjanté, Nancy-Lorraine aurait payé cher ce débordement populaire. « Le public de Nancy est calme, nous allons jouer », prononça Larqué, sans savoir que Dussier et Curbelo marqueraient deux buts à l'illustre Ivan Curkovic (2-0). 

Quarante années de vie de l'AS Nancy-Lorraine sont pénétrées d'anecdotes et de souvenirs, de temps forts et d'heures de cruel dépit. J'ai vu pleurer l'équipe et le stade Picot tout entier, un soir de victoire sur Lyon, en 1974. L'équipe d'Antoine Redin croyait avoir sauvé sa place en D1 en dominant son adversaire avec courage, mais deux résultats bizarres acquis sur les terrains de Reims et Sedan (8-4 contre Monaco et 4-3 face à Troyes) ruinèrent tout espoir meurthe et mosellan. L'ASNL était prise au piège du bonus qu'elle avait réclamé par la voix de Claude Cuny, mais surtout par l'énormité de la supercherie champenoise qui garde tout son mystère, bientôt un demi-siècle après... 

Avec le Nancy-Saint Étienne de rêve évoqué plus haut, et quelles que soient les formidables épopées signées par les joueurs nancéiens d'Hervé Collot, Laszlo Bölöni et Pablo Correa, le récital de l'ASNL à Nice, le 18 janvier 1978, est indiscutablement le plus beau fait d'armes signé par les Blanc et Rouge en championnat de France. Les Aiglons sont leaders de la compétition et leurs vedettes sont internationales: Baratelli, Jouve, Guillou, Huck, etc. Nancy s'impose 7-3, sous les trombes d'eau du stade du Ray, avec quatre buts de Michel Platini, à la tête d'une formation enthousiaste et généreuse avec Rouyer, Moutier, Curbelo, Jeannol, Rubio ! Ce soir-là, tout le monde a cru que les journalistes avaient donné le score à l'envers !